LES VALEURS MORALES SONT-ELLES RELATIVES?
Note obtenue: 14/20
Commentaire: travail plutôt satisfaisant, même si votre théorie de
l'"enveloppe" pose pas mal de problèmes: le "bien" et le
"mal" ne sont-ils que des mots ou des étiquettes? Ou bien sont-ils un contenu
en tant qu'idées? Vous semblez répondre par l'affirmative à cette question,
puisque vous adhérez à la doctrine du droit naturel. Quant à la distinction entre
valeurs "communes" et valeurs "universelles", elle reste spécieuse.
Et il y a sans doute d'autres valeurs que le Bien.
Où se situent le Bien et le Mal? Les philosophes qui ont tenté de répondre à ces questions ont toujours rencontré quelques difficultés et bien souvent ne sont pas parvenus à des réponses identiques. Peut-on en conclure que les valeurs morales sont relatives? Les opinions divergent à ce sujet, comme en témoigne la définition de la morale: c'est l'ensemble des règles de conduite "soit propres à une époque ou une culture, soit considérées comme universellement valides". En effet, peut-être existe-t-il des valeurs morales absolues, invariantes et universellement reconnues. Et même si tel n'est pas le cas, de quoi dépendent-elles alors? Autant de questions auxquelles nous tenterons maintenant d'apporter une réponse...
Il est tentant de
dériver la moralité et les valeurs morales d'un sentiment inné, comme a pu le faire
Rousseau, plutôt que de la raison ( ce
sentiment inné est un équivalent de la grâce). En
effet, la raison est avant tout, rappelons-le, la faculté de calculer, de raisonner; elle
me compare aux autres et se met au service de mon amour-propre, elle détermine donc mon
intérêt et m'oppose aux autres. Comment alors pourrait-elle m'empêcher de leur faire du
mal? Pour être moral, il faut donc que je m'identifie à eux, que je souffre qu'ils
souffrent. Cela ne peut venir que du coeur... Mais un sentiment peut-il être moral? S'il
nous pousse à faire le bien, n'est-ce pas que l'on puisse y trouver un certain intérêt?
L'égoïsme ou le désir de ne pas souffrir nous-mêmes s'y mèlent peut-être... Pour les
philosophes antiques, l'ensemble des biens auxquels tend la vie humaine est le bonheur:
voilà encore un "intérêt" qui peut expliquer que le sentiment nous pousse à
bien agir... Mais le sentiment ne peut pas avoir une valeur universelle, puisque nous ne
sommes émus que par les choses qui nous touchent, nous concernent... Les valeurs morales,
nées du sentiment, sont donc relatives...
Mais les valeurs morales ne sont peut-être pas nées du
sentiment, elles ne sont peut-être pas intrinsèques à l'individu. En effet, on peut
penser que les valeurs morales sont dictées à l'homme lors de son éducation. Ainsi, une
personne issue d'une famille chrétienne, par exemple, aura pour valeurs morales les lois
du décalogue; alors on peut dire, dans ce cas, que les valeurs morales sont relatives à
la religion (ça ne suffit pas à établir leur
relativité: notez qu'elles sont censées être dictées par Dieu). Mais elles peuvent aussi être relatives à la classe sociale: certes,
on peut retrouver des valeurs morales communes à deux classes sociales différentes; il
est évident par exemple qu'une personne issue d'un milieu aisé et une personne pauvre
peuvent attacher autant d'importance à l'amitié l'une que l'autre. Mais peut-être que
sur d'autres points, elles n'auront pas les mêmes jugements de valeur; en fait, lorsque
les valeurs morales dépendent de la classe sociale, en vérité c'est l'éducation reçue
qui est déterminante: en effet, un enfant de bourgeois, si ceux-ci ont tenté de lui
inculquer des valeurs indépendantes de leur classe, et que l'enfant ne côtoie pas
uniquement des bourgeois, alors ses valeurs morales ne seront pas "typiquement
bourgeoises"...
On a vu dans ce dernier exemple que, malgré l'éducation reçue,
si l'enfant n'avait que des fréquentations d'une certaine classe sociale, les valeurs
morales qu'on lui a inculquées peuvent varier. C'est ce qu'on appelle le conformisme, qui
est l'adhésion, sans examen préalable, à des valeurs admises par une majorité. Dans ce
cas, on ne se "sert" pas de sa conscience morale, qui est la capacité de
l'esprit individuel à apprécier par rapport aux concepts de Bien et de Mal des
comportements; ou bien notre "conscience sociale" est plus forte: bien que l'on
diverge sur certains points de vue, on se conforme à l'opinion de la majorité pour
préserver un équilibre, une cohésion dans le groupe...
Cette "cohésion dans le groupe", à plus grande
échelle, est fondée sur la justice, sur la loi. Celles-ci sont l'
"officialisation" des valeurs morales -normalement- communes à tous les membres
de la société, ou plutôt à la majorité d'entre eux. Ces lois évoluent au cours du
temps, selon les expériences de la société: par exemple, la catastrophe de Tchernobyl a
provoqué en Allemagne l'interdiction de construire des centrales nucléaires, parce que
la société allemande a considéré cela comme un mal, un danger... (Peut-être que cet
exemple peut sembler mal choisi pour illustrer une valeur morale: pourtant, c'en est une
puisque le bien-être d'une société est en jeu...) Les valeurs morales sont donc
également relatives à l'histoire. A ce sujet, nous nous accordons avec Trotsky (et aussi, avant lui, Marx) pour qui
"la morale est le produit du développement social, (...) elle n'a rien d'invariable,
(...) elle sert les intérêts de la société".
Nous venons
d'abonder dans le sens de la relativité des valeurs morales. Mais nous en pouvons pas
nier qu'il existe des philosophes qui ont défendu l'existence des valeurs morales
absolues, ce qui nous montre que la question est peut-être plus ardue qu'elle peut en
avoir l'air au premier coup d'oeil...
Pour Kant, le principe de la véritable morale est
l'autonomie de la volonté, qui se règle sur l'idée même de loi en général,
indépendamment de toute détermination affective ou sociale. Mais l'homme est ainsi fait
que nous doutons de la possibilité d'une "autonomie" dans le sens où l'entend
Kant: l'homme est modelable, il a des sentiments qui font partie de lui, il fait partie
d'une société qui, d'une certaine façon, est en lui; il est difficile, voire impossible
pour lui de faire abstraction de ces éléments qui le composent. Si l'on suit les
principes de ce philosophe, comment faire lorsque l'on doit choisir, qu'il y a un conflit
de devoirs? Par exemple, doit-on tuer pour lutter contre l'oppression ou ne pas tuer et
être complice de l'oppression? Voilà une question à laquelle la morale kantienne ne
peut répondre...
L'existence d'une loi morale universelle, de valeurs
morales absolues nous paraît difficile à concevoir. Cependant, nous ne pouvons nier tout
de même qu'il existe des bases, des fondements communs à tous... Le Bien et le Mal sont
des valeurs morales universelles, et ce quelles que soient l'époque ou la culture dans
laquelle on se place. Attention! Il ne faut pas croire que nous remettons en cause tout ce
qui a été dit précedemment. En effet, nous ne parlons ici que de l'
"enveloppe" de ces valeurs, les mots qui enferment les idées, les figent. C'est
cette enveloppe qui est commune à tous. En effet, nous sommes tous à la recherche du
Bien et nous fuyons tous le Mal... Mais le contenu de ces idées n'est pas le même pour
tous, il diverge d'un individu à l'autre ou d'une société à l'autre...
Prenons l'exemple d'une "enveloppe" commune à
tous; tout homme sur terre considèrera comme un Bien le fait d'aider sa famille à vivre,
mais la manière de procéder peut être très différente. Prenons un cas qui peut nous
choquer, nous occidentaux: dans certaines tribus africaines (lesquelles?
Doù tenez-vous cette information anthropologique? Note
de l'élève: "Je 'ai lu dans un dictionnaire de philosophie mais je n'ai
pas réussi à retrouver précisément ma source." Conseil: oubliez
cet exemple, trouvez en un autre!), le père
"aide" sa fille à entrer dans son futur rôle de femme en la déflorant. Voilà
une coutume, perçue comme un bien par toute une tribu, que nous réprouvons totalement.
Pourtant, si nous en étions restés à l'idée que le "père aide sa fille",
rien ne nous aurait choqués, nous serions restés à la surface lisse de l'
"enveloppe", qui ressemblait tout à fait à la nôtre... De là nous déduisons
qu'il existe des valeurs morales communes à tous, mais dont nous ne faisons pas tous la
même interprétation...
Avec un tel raisonnement, nous pourrions
"tomber" dans deux positions extrèmes: celle qui consisterait à penser que
c'est notre société qui est la "meilleure", c'est ce que Lévi-Strauss appelle
l'ethnocentrisme (qui peut conduire au racisme, au génocide, et même à l'ethnocide...)
ou bien celle qui prêcherait une tolérance absolue... Comme l'a dit Pascal, "le
larcin, l'inceste, le meurtre des enfants et des pères, tout a eu sa place entre les
actions vertueuses". Une telle tolérence laisserait libre cours à tous les crimes
imaginables!
C'est pour cela qu'aucun déterminisme psychologique ou
social ne peut nous dispenser de chercher ce qui vaut absolument, c'est-à-dire non pas
seulement pour moi, comme sujet particulier qui recherche mon bien propre, ni non plus
pour la collectivité réelle à laquelle j'appartiens, ma famille, ma classe sociale, ma
communauté religieuse, on pays, mais ce qui vaut universellement pour tout homme. Nous
sommes capables de juger, de condamner notre propre société, alors même que nous y
avons toujours vécu et que par conséquent nous n'avons pas de point de comparaison. Nous
avons donc en nous l'idée de Bien et de Mal, c'est "l'étalon plus élévé que
l'idéal de notre société" dont parle Leo-Strauss dans Droit naturel et histoire
que nous évoquons ici. Nier l'idée de droit naturel -ce que la conscience humaine
reconnaît comme moralement fondé- c'est nier l'exigence de justice inscrite au coeur de
cette conscience! Alors il existerait des valeurs morales non pas absolues -puisque leurs
"applications" divergent- mais du moins communes à tous les hommes!
Idéalement, le droit naturel devrait être identique au "droit positif" (qui
englobe lois, usages et coutumes) mais ce n'est pas le cas, sinon toutes les lois de tous
les pays seraient identiques et ne varieraient plus. On pourrait alors parler de valeurs
morales abosolues... En fait nous avons l'idée du Bien et du Mal, mais nous avons du mal
à la mettre en application. C'est à une société dans laquelle nous aurions réussi à
l'appliquer dont nous rêvons; nous aspirons donc à l'existence de valeurs morales
universelles et absolues, qui seraient alors entièrement "justes"...
Nous pouvons donc aspirer à un idéal, parce que nous
avons en nous l'idée de Bien ou de Mal. Mais, cependant, cela ne nous dit pas quelle est
la conduite à tenir, quelles valeurs morales sont les bonnes. On dit que l'erreur est
humaine et que l'on apprend par l'expérience. L'homme doit donc choisir ce qu'il
considère comme étant le mieux, sans toutefois avoir la certitude de faire bien.
Finalement c'est à chaque homme de fonder l'exigence morale: il ne la trouve pas faite.
Quel autre recours que la pensée, demande Hannah Arendt, aurions-nous pour juger des cas
particuliers quand nous ne disposons d'aucune règle préalable pour dire "c'est
bien", "c'est mal"?
Les valeurs morales sont relatives mais on peut dire qu'il y a des "bases communes" sur lesquelles les hommes forment leur moralité, par leurs choix divers; l'homme se "construit" et construit la société. L'universalisation des valeurs morales est difficilement concevable, mais si elle avait lieu on peut penser que les conflites divers, nés de mouvements nationalistes ou en core des conflits religieux... tendraient à disparaître, c'est pourquoi on peut dire que les hommes sont à la recherche de valeurs morales idéales absolues. Mais certaines valeurs ne sont pas compatibles entre elles, les hommes sont portés à faire des choix; l'idéal, même s'ils en ont la connaissance, ne peut pas être réalisable...