AVONS-NOUS DES DEVOIRS ENVERS NOUS-MÊMES?



Note:
9/20
Commentaire:
Ce premier devoir est prometteur,mais vous hésitez encore un peu trop devant le sujet, que vous abordez un peu tard, vu la brièveté de votre devoir. Au fond, vous hésitez à reconnaître ou à attribuer aux devoirs envers soi-même un statut ou une catégorie particuliers. Mais vous n'accordez pas assez de chance à la thèse positive (vous reculez devant toute exemplification) et vous ne développez pas non plus assez son antithèse, qui fait dériver les devoirs envers soi des devoirs envers autrui. Vous avez même tendance, à la fin, à confondre sentiment personnel d'obligation et devoir envers soi-même. Très peu de fautes de français (fautes corrigées ici).

     On englobe communément dans le terme devoir diverses obligations: l'obligation juridique, mais aussi la nécessité physique ainsi que l'obligation morale, qui nous est dictée par notre conscience, par ce que Kant appelle "la voix d'airain du devoir". Cependant, il est essentiel de dissocier les devoirs des contraintes et des nécessités physiques. En effet, celles-ci sont indépendantes de la volonté de l'Homme, elles viennent de l'extérieur, alors que le devoir, que l'on peut aussi appeler obligation morale, vient de soi et contient l'idée d'obligation mélée à celle de volonté, puisque l'homme choisit de s'y soumettre... Cette définition nous amène à nous demander si certains devoirs, que nous nous imposons à nous-mêmes, ont une fin personnelle, en d'autres termes si nous avons des devoirs envers nous-mêmes...

 

     Une première réflexion pourrait nous conduire à penser qu'aucun devoir n'est réellement issu de la personnalité de l'homme: ce qu'on appelle obligation morale ne serait autre qu'un conditionnement. En effet, le devoir moral consiste à faire "ce qu'on juge être le meilleur", pour employer les termes de Descartes, c'est-à-dire à faire le Bien. Ici se pose alors un problème fondamental: comment l'homme acquiert les notions de Bien et de Mal? Elles lui sont inculquées en grande partie par son éducation, qui lui apprend à distinguer ce que l'on qualifie communément de bon ou de mauvais, mais aussi par la religion: le christianisme, par exemple, inculque ces notions à travers les dix commandements... Tout ceci nous amène à cette conclusion: le devoir moral est certes "ce qu'on juge être le meilleur", mais étant donné que notre conception du Bien ne nous appartient pas réellement, de la même manière le devoir moral n'est pas vraiment issu de notre personne. Un tel raisonnement remet en cause toute la notion du devoir, qui serait alors en vérité issu de l'extérieur et non pas de soi, donc une contrainte. De même, une personne pieuse qui fait son devoir serait en fait soumise à la crainte de commettre un pêché, et donc de souffrir par le biais du châtiment... Là encore, ce qui apparaissait dans un premier temps être un devoir devient une contrainte extérieure... Malgré cette difficulté de séparer vie morale individuelle du contexte humain, social, religieux..., est-il impossible à l'homme de sortir de la "route(...)tracée par la société" qu'évoque Bergson, qui fait que le "devoir(...) s'accomplit presque toujours automatiquement"? L'obligation morale n'est-elle qu'un autre nom donné aux contraintes?
     En fait, on ne peut pas contester la réalité d'une obligation morale. Certes, une partie de notre jugement, à savoir si une action est bonne ou mauvaise, se fonde sur un enseignement, sur des valeurs qu'on nous a inculquées. Mais le devoir concerne la volonté: "je dois le faire" implique que "je puisse ne pas le faire". Si l'on se réfère à Descartes, la volonté est proche du désir: il s'agit donc de quelque chose émanant de soi, et nullement dictée par un phénomène extérieur. Par conséquent, le devoir, qui inclut la volonté, est bel et bien issu de la personnalité de l'homme. Or, nous sommes tous différents; c'est pour cette raison que l'idée de devoir varie d'une personne à une autre: ce qui semble moral à l'un ne le sera pas forcément pour un autre. En écrivant "mon devoir (...) est (...) quelque chose qui me concerne seul", Kierkegaard montre bien l'aspect spécifique de chaque individu face au devoir... En outre, savoir bien juger, c'est-à-dire distinguer le vrai du faux ou encore être doué de raison, est quelque chose qu'on ne nous apprend pas mais que l'on acquiert avec le temps. Or, pour s'imposer des devoirs moraux, il faut être doué de raison -pour lutter contre ses propres inclinations-, ce qui montre encore une fois que l'obligation morale émane bien de la personne...
     S'il a pu paraître difficile de distinguer l'obligation morale des contraintes extérieures, c'est que l'Homme fait partie intégrante de la société; ceci pose un autre problème: comment dissocier devoirs envers autrui des devoirs, s'il y en a, envers soi-même?

 

     Certes, les devoirs sont des obligations que je m'impose à moi-même, mais envers qui se dirigent-ils? Généralement, on évoque les devoirs envers autrui; ainsi ne pas mentir, ne pas tuer, et caetera... sont des devoirs envers autrui... C'est la morale qui pousse à accomplir ces devoirs, cela peut être aussi de l'altruisme; cela veut-il dire que l'on agit sans aucun intérêt personnel? Peut-être pas. En effet, ne peut-on pas affirmer que, quelque part, un devoir envers autrui est aussi un devoir envers soi-même? Fions-nous à la définition d'autrui: qui est autrui? "C'est l'autre, c'est-à-dire le moi qui n'est pas moi", a répondu Sartre. Et n'emploie-t-on pas, par ailleurs, l'expression "alter ego"? Elle signifie un autre moi... Avoir un devoir envers autrui revient donc à dire que l'on a un devoir envers -un autre- soi... Par ailleurs, selon Sartre, "l'autre est indispensable à mon existence"; en conséquence, se soucier d'autrui et remplir son devoir envers lui, c'est aussi dans une certaine mesure se soucier de soi-même, car sans autrui je ne suis rien... Schopenhauer a même poussé plus loin cette réflexion: pour lui, le devoir a pour source l'égoïsme: "je m'interdis de faire ce que je n'aimerais pas qu'on me fît"; on peut penser que le désir de ne pas souffrir est la cause d'un tel raisonnement...; en d'autres termes, ce qui doit valoir pour moi doit valoir pour quiconque; puisque j'ai, en tant que personne humaine, la même valeur que tout autre homme, j'ai donc envers moi-même les mêmes devoirs qu'envers autrui... J'ai donc bel et bien des devoirs envers moi-même, ce qui peut être grammaticalement démontré: en effet, il n'est pas rare de voir le verbe "devoir" devenir pronominal: "je me dois de lui dire la vérité" (bien)...Mais quels devoirs?
     Etablir une liste de devoirs que l'on aurait envers soi-même ne serait pas vraiment utile (
Ne vous facilitez pas trop les choses: ce que vous dites est vrai, mais ne vous dispense pas pour autant de donner quelques exemples qui ne seraient pas malvenus, pour rendre votre devoir plus concret): d'une part, cette "liste" varie selon la personnalité de chacun; et d'autre part il est très difficile de choisir quelques devoirs pour en dresser une liste, car ceux-ci sont très nombreux... Pour simplifier, on peut dire que tous les devoirs que l'on a envers soi-même sont des devoirs qui conduisent plus ou moins au bonheur; on a le devoir de faire les choses de telle sorte que l'on continue à se faire respecter, en tant que personne douée de raison, par exemple: et être respecté est une étape pour aboutir au bonheur(à développer). Pourtant, certains devoirs, comme toute obligation, ont des côtés très rébarbatifs pour certaines personnes; malgré cela, une fois réalisés, ces devoirs conduisent également au bien-être; ainsi qui n'aime pas les études trouvera difficile d'aller en faculté, par exemple; pourtant cela lui permettra peut-être d'avoir un bon métier, une situation enviable; là encore, il s'agit d'une étape vers le bonheur... On pourrait ainsi multiplier les exemples... Peut-être pourrait-on avancer que tout devoir moral est un devoir envers soi-même... En effet, quand on cherche à faire le Bien autour de soi, c'est-à-dire pour autrui, on le fait aussi pour soi: ainsi, on se donne bonne conscience, c'est-à-dire qu'on fait une action que l'on juge bonne, pour être plus "fier" de soi. Le non-respect de la loi, de l'éthique ou de la morale, conduit l'homme à avoir honte de lui-même, à éprouver des remords: or, comme l'a dit Jankélévitch, "le remords est douleur", il nous empêche donc d'atteindre le bonheur: par conséquent, faire son devoir -envers autrui, envers la loi- c'est quelque part toujours envers soi-même...

 

     Le devoir est bel et bien quelque chose que l'on s'impose à soi-même; certes, on a pu subir des influences extérieures, mais la morale est bien personnelle... Il est clair qu'on a des devoirs envers soi-même: mais peut-on se "désobéir"? Si ce n'est pas le cas, doit-on en conclure que l'on est esclave de sa propre personne?(interrogation emphatique, rhétorique et creuse